Une Brute au grand cœur – Matteo Di Genaro

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Niveau humour, j’ai une faiblesse pour le 18e degré. Le côté grande gueule et l’autodérision (qui n’ont rien d’incompatibles), j’adhère, j’adore. Autant vous dire qu’avec Une Brute au grand cœur, j’ai été servie. 72 pages (trop court !) sans arrêter de rire, que ça fait du bien. Bon effectivement il y a un aspect grinçant (et un autre sexuel) qui ne plaira (plairont) pas à tout le monde, mais pour les fans de ce bagout somme toute latin, n’hésitez pas un brin de seconde, vous en aurez pour votre argent.

Quant à moi, j’aurais bien laissé ici quelques pages vides pour mieux vous faire sentir la densité de cette ellipse dans le récit, mais le comptable qui me sert d’éditeur n’a rien voulu entendre. À propos d’entendre, je profite du silence qui suit la tempête pour préciser une chose : vous pourriez croire, à ma description de la belle Natalia, que je ne m’intéresse qu’à sa plastique, que je suis, nonobstant mes préférences sexuelles éclectiques, un de ces phallocrates resté bloqué au siècle passé, un de ces connards qui fait des blagues sexistes en jurant entre deux rires gras qu’il n’est pas macho : Moi ? Pas du tout, j’aime les femmes, moi, tout en vous gratifiant d’un clin d’œil lubrique et ignoblement complice. Eh bien, vous ne pourriez pas vous fourvoyer plus profondément, et, à ce que je sais de votre capacité à vous fourvoyer, votre erreur serait Hénaurme ! (Ce n’est pas une faute d’orthographe mais une fine allusion à l’ermite de Rouen.) Je vous dirai un jour ce que je pense des quotas ou de la question épicène (les diplômés chercheront « épicène » dans le dictionnaire, les étudiants chercheront le mot « dictionnaire » sur Wikipédia).

De quoi que ça cause ? De Matteo di Genaro, né à Monaco en 1982, au vocabulaire aussi étoffé que son portefeuille, à l’humour autant développé que son patrimoine immobilier, radié du barreau certes, mais reconverti dans les enquêtes criminelles. Un anti-héros à la langue bien pendue, aux remarques acerbes, aux fréquentations plus que douteuses, que vous allez adorer détester. Car l’auteur a cette assurance que seul donne l’argent, tout lui sera pardonné, il le sait bien, il se permet donc de l’ouvrir, avec largesse.

En général, quand quelqu’un retire ses économies trois jours avant de se faire décapiter, c’est soit une coïncidence, soit un indice.
En général, quand on retrouve dans un verre à champagne le doigt d’un homme dont on a égaré la main, c’est soit une coïncidence, soit un indice.
En général, quand une coïncidence est suivie d’une autre coïncidence, c’est soit une coïncidence, soit qu’on est en train de se foutre de votre gueule.
En général, quand un auteur utilise l’anaphore, c’est soit que c’est un poète attardé en chemise à fleurs, soit qu’il cherche vainement à attirer votre attention sur quelque chose.

Matteo a ses entrées dans tous les cercles, des bars à filles aux commissariats. Quand le corps démembré d’un ami est retrouvé dans le premier, c’est bien son copain du second qu’il appelle. Mais Matteo est comme ça, il aime aussi s’occuper de ce qui ne le regarde pas. Surtout quand il a une faiblesse pour une femme. Et là il faut avouer qu’il a des soupçons sévères. Envers les Russes. De ceux qui parlent mal aux dames. Alors il enquête. Tout ne va pas se passer comme prévu, et la fin sera surprenante, c’est un polar, tout de même.

Si vous vous faites arrêter un jour, parmi la liste des droits qu’on doit vous signifier, il y en a deux dont je vous recommande particulièrement l’usage. Le premier, que vous devriez d’ailleurs utiliser plus souvent, c’est le droit de vous taire. Le deuxième, c’est d’appeler votre avocat qui, après tout, est payé pour dire des conneries à votre place. Après avoir répondu à toutes les questions qu’on me pose par un mutisme disert (vous chercherez encore dans le dictionnaire que par commodité vous devriez garder sous la main), j’appelle Olivier. Pour quelqu’un dont je rejette les appels depuis trois jours, il a l’air content de m’entendre. C’est ça le pouvoir de l’argent. J’ai vite fait de lui dire où je suis et, en bon avocat, il a vite fait de comprendre où il doit ramener ses fesses.

Boucler une affaire en 72 pages, tout en laissant la part belle à des digressions sans fin et à des considérations sur le fait que lui soit riche (et nous pauvres, logique), autant vous dire que ça se dévore d’une traite, pour peu qu’on soit sensible au franc-parler (ou que l’on veuille savoir qui a tué Pat, ce qui est sans doute une possibilité à envisager). Bref, du grand art qui semble ciselé sans effort, à la va comme je te pousse, mais sans une seule faute de goût. Du James Bond, sans truc et astuce, sans poudre aux yeux, sans classe anglaise, mais avec du sexy, du bien trouvé, du qui pointe là où ça fait mal. À lire et à relire, en attendant la suite.

Éditions BSN Press