Je ne sais pas si comme moi vous avez eu la chance de passer votre jeunesse en compagnie de Fox Mulder, toujours est-il que personnellement il m’en reste le goût des beaux garçons et des complots à l’américaine. Quand 20 ans (oui) plus tard, je passe un doigt sur le suave bandeau d’un RE :PACIFIC, c’est avec étonnement que je relève le sous-titre de ce joli ouvrage : Enquête, archives, photographies, 23×17 cm, 176 pages. Lectrice curieuse déjà acheteuse, c’est bien connu.
Hollywood, 22 novembre 1963, 10h30, projection test du nouveau film de Stanley Kubrick, Dr. Strangelove.
Les lumières, une à une, s’éteignent. L’obscurité se répand dans la pénombre et le silence. Puis, des ténèbres surgissent des éclairs et des flashs éblouissants ; un faisceau de lumière, de fine poussière frappe l’écran blanc d’une salle de cinéma. Au sommet d’un piédestal, haut dans le ciel, parmi les nuages, une femme apparaît. Vêtue d’une toge romaine ou en habit de soirée, la femme moitié humaine – moitié statue, femme de pierre – statue de chair, le bras levé, porte une torche qui rayonne, irradie et embrase les cieux. COLUMBIA PRÉSENTE… Soudain, une sonnerie de téléphone retentit dans la cabine de projection. Le projectionniste décroche et obtempère. La vestale cinémascopique s’éteint. Les lumières se rallument. La projection test du film de Stanley Kubrick est annulée de toute urgence. Un drame est survenu.
Pour qu’une bonne ambiance sur le mode on-nous-cache-tout-on-nous-dit-rien soit réussie, il faut que plusieurs règles soient respectées :
- Chaque élément pris indépendamment doit être scrupuleusement vrai ;
- Le raisonnement doit être simple mais en même temps assez complexe pour que l’auditoire soit incapable de le refaire seul en marche arrière ;
- La conclusion ne doit pas être évidente : l’idée est de faire régner une certaine paranoïa, pas d’inventer la poudre.
MAD. Un mot frappe à la porte. Le langage est la maison de l’être. Dans son abri habite l’homme, dixit le philosophe allemand Martin H. La porte de la maison s’entrouvre puis, comme si elle claquait des dents de peur, se referme. MAD. Un seul mot suffit pour faire sombrer l’homme dans la folie. MAD réveille la paranoïa nucléaire ou la peur bien réelle de l’apocalypse atomique. MAD n’est pas celui que l’on croit. Faux-semblant fissible, miroir radioactif, bien plus qu’un mot, MAD est un acronyme. Derrière la folie se cache le concept fondateur de l’équilibre de la terreur.
MAD
Mutually Assured Destruction
À l’acronyme atomique dissuasif de mauvais augure MAD répond l’abréviation fictionnelle de SPECTRE, organisation criminelle dont fait partie le Dr. No.
MAD vs SPECTRE ?
FOLIE contre FANTÔME ?
En fait, il faut imaginer ce livre comme une course de petits chevaux. On sait d’où on part, pas vraiment où on va et surtout pas comment on y arrive. De paragraphe en paragraphe, Alessandro Mercuri nous balade. Comme dans un raisonnement mathématique, tout semble logique… tant que le prof parle. Prenons pour exemple la page 87 : et là, c’est le drame, la prise de conscience : comment en sommes-nous arrivés à parler des hippocampes ?! Le premier chapitre ne concernait-il pas l’assassinat de Kennedy ? Ou un film de Kubrick ? Ou la bombe A ? Ou une île qui n’existe pas ? Mystère, et c’est justement ce qui est bon. Se perdre, divaguer, ressentir que des choses nous dépassent. Toi qui entres dans ce livre, abandonne toute logique. Aie confiance.
L’armée y teste la résistance psychologique et physiologique d’hommes-grenouilles à la vie en profondeur. De l’homme, né de la mer, ovipare, puis issu d’une vie intra-utérine, l’armée expérimente en secret le devenir-poisson. Quelques rares documents déclassifiés consultables sur le site d’informations confidentielles, paranoïaques et paranormales, paranormalconfidential.org témoignent d’étranges métamorphoses. Comme l’île Argus, le site paranormalconfidential.org n’existe pas. N’existe plus. Car à peine a-t-on prononcé son nom qu’il a déjà disparu.
Le dossier Alvin peut aussi être appréhendé par l’image. Chaque information donnée par l’auteur est illustrée, plus ou moins sérieusement, par une photo en noir et blanc, ce qui ajoute encore à l’ambiance « dossier top-secret déclassé ». Il est certain qu’il ne s’agit pas ici d’un livre classique, mais on n’en attendait pas moins d’un RE :PACIFIC. La frontière entre pure invention et vrai documentaire, entre littérature et objet conceptuel – entre art&fiction justement – est mince, mais quel plaisir d’ouvrir un tel ouvrage comme on lance un film de science-fiction ou un reportage d’une chaîne du câble à 3h du mat’, en se laissant porter par l’histoire d’un sous-marin, dont finalement tout le monde se fiche, mais qui reste le prétexte idéal pour une jolie balade en terrain (mé)connu.