Entretien avec Noëlle Revaz

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Amandine Glévarec – Rapport aux bêtes est d’une violence rare, surtout au début. Et puis le lecteur referme le livre et se demande si le bourreau ne serait pas plutôt une piètre victime. Doit-on prendre Paul au pied de la lettre ou se dire que son ego démesuré parle à sa place et en rajoute des tonnes ?

Noëlle Revaz – Je ne crois pas que Paul ait un ego démesuré, je dirais qu’il n’a plutôt pas d’ego. Il ne sait pas qui il est, parce qu’il ne sait pas ce qu’il pense, ce qu’il ressent, ce qu’il vit. En ce sens, oui, il est complètement victime de tout ce qui arrive dans sa vie.

A. – D’où vous venait l’inspiration pour Rapport aux bêtes ? Connaissez-vous particulièrement bien le milieu agricole ? Doit-on voir dans ce roman un message plus concret, voire une dénonciation ?

N. R. – Non, pas du tout. Je connais mal ce milieu, qui apparaît d’ailleurs de façon très schématique dans le roman. Le cadre rural n’est finalement qu’un décor pour ce récit que je ne voulais pas récit réaliste, mais reflet d’une subjectivité.

A. – Pourquoi la femme de Paul a-t-elle hérité du surnom de « Vulve » ? N’aviez-vous pas peur en faisant un tel choix de choquer, voire d’éloigner certaines lectrices (ou lecteurs) ?

N. R. – Oui, bien-sûr, ce nom était choquant. C’est bien pour cela que je l’ai choisi. Ce nom était l’origine de tout le roman, il était nécessaire, il indique immédiatement le regard que Paul porte sur sa femme et ce qu’elle est dans le monde de la ferme. Cette femme est contenue entièrement dans ce nom. Le censurer serait revenu à écrire une autre histoire, avec d’autres personnages.

A. – Rapport aux bêtes a été traduit en plusieurs langues, ce qui semble bien compliqué au vu du réel travail que vous avez réalisé sur la retranscription du langage bourru de Paul. Avez-vous pu donner votre avis ou votre aval pour certaines des traductions ?

N. R. – La plupart des traducteurs m’ont contactée pour comprendre mon travail sur la langue, sur les expressions utilisées, pour me poser des questions sur ma manière de les déformer… J’ai relu aussi des chapitres de la traduction anglaise, mais il était bien difficile pour moi de conseiller le traducteur.

A. – Vos trois livres se passent dans des milieux très différents. Rien ne semble a priori les relier les uns aux autres. Y aurait-il une ligne directrice qui nous échappe, une logique, un rapport voire un projet plus global ?

N. R. – À travers ces 3 textes, j’effectue un parcours du dedans vers le dehors, vers la surface. Rapport aux bêtes était tout entier dans le regard intérieur et subjectif d’un personnage. Dans Efina, mon deuxième roman, les deux personnages sont projetés à l’extérieur d’eux-mêmes, ils n’arrivent souvent presque plus à reconnaître ce qu’ils éprouvent intérieurement, c’est-à-dire l’amour. Et dans L’Infini livre, je reste clairement à la surface des choses, il n’y a plus d’intériorité ni presque de subjectivité dans le monde de ce livre-là.

A. – Qu’auriez-vous à dire d’essentiel sur L’Infini livre qui vient de paraître chez Zoé ? A-t-il été facile à écrire, l’inspiration était-elle là tout de suite après la parution d’Efina ou avez-vous eu besoin de repos entre deux livres ?

N. R. – Je me suis lancée immédiatement dans l’écriture de ce livre après avoir terminé Efina. Son écriture s’est déroulée en deux temps, j’ai d’abord mis au point le ton et l’ambiance du récit, avant d’en connaître les protagonistes et surtout l’idée centrale, qui est celle d’un monde où l’on n’ouvre plus les livres. Les livres y existent comme des objets, leur importance est uniquement plastique. En fait ils sont dans ce livre une métaphore de l’individu. Je dirais de ce roman que c’est un roman marqué de bout en bout par une logique très forte : dans la société que j’y décris, tout doit être immédiatement donné, visible, compréhensible. Les personnes, les choses, les mots, les livres, la musique, n’ont plus d’intérieur ou de contenu. C’est un monde de surfaces.

A. – Continuez-vous à vous investir dans des projets littéraires parallèles, Duo Moë ou Bern ist überall par exemple ?

N. R. – Oui je lis assez souvent sur scène dans ces formations. Cela me permet d’expérimenter d’autres formes d’écriture et aussi de gagner ma croûte.

A. – Vous êtes arrivée à l’écriture par l’écriture de pièces radiophoniques, et vous avez aussi publié une pièce de théâtre. Conservez-vous l’envie d’explorer le langage sous différentes formes ? Les années à venir nous réservent-elles des surprises vous concernant ? 

N. R. – Je l’espère bien !