Dans cette vie – Anna Ruchat

ruchat-BAN-1.jpg

Les recueils de nouvelles n’ont pas la cote. On pourrait se dire : quatre histoires, quatre possibilités de passer au moins un bon moment. Mais pas de miracle. Quand le style d’un auteur ne nous convient pas, peu de chance que cela change radicalement. C’est ainsi que l’on se retrouve – comme moi – avec un livre de 80 pages que l’on met trois heures… à ne pas finir. Tant que j’y suis, je vais prendre une heure de plus pour tenter de comprendre – et de vous expliquer – pourquoi Dans cette vie ne m’a pas touchée.

Des visites arrivent. Je vois les personnes devant moi, des parents embarrassés, des amis affecteux, ils défilent dans le miroir, légèrement courbés, les épaules serrées dans leurs vestes de fin d’hiver, hésitants, ils restent peu et voudraient déjà être loin, échangent quelques mots et s’en vont. Ils ne savent pas, je ne sais pas comment on devrait se comporter, la mort m’est familière, mais pas le deuil, en plus, aussi blanc, alors je souris, j’ajuste le drap de lin et je dis au fond les choses sont allées au mieux, mais ce n’est pas ce que je pense, je dis, vivre dans ces conditions pour l’enfant ça aurait été bien pire et une torture pour nous, mais la torture est maintenant ce corps manquant, ce vide que tu ne peux étreindre, cette absence.

Je ne sais pas vous mais me concernant en 10 minutes, c’est bouclé. Je sais si j’aimerai quelqu’un, je sais si j’aimerai un livre. C’est un peu la même chose finalement. Parfois ça tient à une bêtise. Par exemple, le fameux : « on n’a rien à se dire ». Dans la première nouvelle d’Anne Ruchat, c’est exactement ce qui m’est arrivé. Sans me la jouer je-fais-ma-psychanalyse-devant-vous c’est vrai que les histoires de mamans ne me touchent pas. Je ne me sens pas intéressée, je ne me sens pas concernée. L’histoire de ces parents, quasi stériles, pour qui le miracle d’une grossesse tourne finalement au désastre, m’arracherait peut-être une larme dans la vie. J’ai un cœur. Mais dans cette nouvelle, rien ne me permet de sortir du cadre de la fiction pour ressentir quoi que ce soit. Au contraire. Les phrases à rallonge, la chronologie tellement déconstruite qu’elle en devient expérimentale, les changements de sujets du je au tu et il, m’agacent et freinent ma lecture.

Combien de fois, avant que je ne trouve un logement, m’a-t-il tenu ces propos, quand elle avait déjà emporté le peu de meubles et de bibelots et qu’il passait ses soirées assis par terre, sous l’affiche qui le représentait héroïque sur une barricade, la bouche grande ouverte dans un hurlement et un drapeau à la main, qui est-ce que ça intéresse, pleurnichait-il dans l’appartement trop grand, avec toutes les bouteilles vides dans le coin douche, qui est-ce que ça intéresse, soupirait-il devant la vaisselle de trois jours empilée dans le vieil évier, ou en observant les toilettes sur le palier, sans papier hygiénique depuis des mois, ou les journaux accumulés à l’entrée, qui est-ce que ça intéresse, aujourd’hui, que la maison soit propre et rangée.

La deuxième nouvelle a constitué pour moi un mystère total jusqu’à ce que je me décide à lire la quatrième de couverture. Je comprends (enfin) que l’auteure mêle des récits, le « héros » du début n’est pas celui de la fin, d’où le pluriel du titre (Ballade des soldats sans armes). En l’absence de prénoms, j’avais eu du mal à comprendre le lien entre tous les paragraphes entrecoupés par des strophes issues du poème Il n’y a pas d’amour heureux d’Aragon (chanté par Brassens).

Sortie du lit, Olivia ouvre la fenêtre à double vitrage pour aérer la chambre, et elle le voit devant elle, son visage comme sculpté dans le marbre, une hostile barricade sans expression, les traits sévères et opaques, le regard fatigué face à la mer ; la pluie tombe dans la cour déserte, et avant même que la journée de fin d’été n’ait commencé, elle l’éteint de son battement dense et sans joie.

Puis vient l’histoire d’un couple plus ou moins illégitime, plus ou moins sérieux, dans laquelle l’officielle vient annoncer à la moins officielle le décès de l’homme partagé. Pas de passion, des faits, des voix entrelaçées. Le sujet, une nouvelle fois, ne me passionne pas, mais soit. La quatrième nouvelle reste à découvrir car je vous avouerai (dimanche confession) que je ne l’ai pas lue. Anna Ruchat est traductrice, de Thomas Bernhard entre autres. Peut-être a-t-elle puisé dans ces travaux le goût des longues phrases et d’une certaine emphase. Je ne suis malheureusement pas sensible à ce style. Malheureusement car, soyez-en sûrs, je n’aime pas ne pas aimer.