Amandine Glévarec – Comment en es-tu arrivé à écrire ? Quel est ton parcours ?
Antoine Jaquier – J’ai toujours eu un grand besoin d’expression créative. Si possible au quotidien. D’abord le dessin, puis ado, la photographie également. Après m’être essayé à de nombreux instruments, j’ai dû admettre que la musique n’était pas pour moi.
À la vingtaine j’ai lu Bleu comme l’enfer de Djian. J’ai ressenti un truc. L’impression que j’avais quelque chose à faire dans l’écriture. Qu’il n’y avait pas besoin d’être Céline pour se lancer.
J’ai alors écrit des bouts de textes, puis des nouvelles, jusqu’au défi du roman.
A. – J’apprends qu’Ils sont tous morts est resté dix ans dans un tiroir avant d’être publié, comment est-ce possible ?
A. J. – C’est un peu exagéré. C’est le processus d’écriture et de publication qui a pris dix ans. Écrivant par plaisir et sur mon temps libre, j’ai mis trois bonnes années à l’écrire. Puis les envois aux grandes maisons d’édition parisiennes et l’attente de réponses ont traîné sur deux ans. Je travaillais sur d’autres projets mais à chaque fois que quelqu’un lisait le manuscrit d’Ils sont tous morts, je me faisais engueuler de ne pas le retravailler et le faire publier. Est donc arrivé le jour où je m’y suis mis. De presque 400 pages le texte est descendu à 280. J’ai retravaillé le style, le rythme, viré les longueurs. Puis, de l’envoi aux maisons d’édition suisses à la sortie en librairie, un an a encore passé. Tout ça prend du temps. Dans mon cas, rien ne pressait.
A. – Ton livre donne une image de la Suisse qui n’est pas vraiment courante. Tu étais là juste pour écrire une histoire qui aurait pu être la tienne, ou y avait-il une véritable volonté de faire une critique sociale de ton pays ?
A. J. – Nullement. Ici cette réalité est bien connue.
Je m’étais lancé le défi d’écrire un roman. Afin de ne pas me perdre dans un travail de recherche, j’ai pris des thèmes que je maîtrisais. La jeunesse désoeuvrée en campagne, la drogue, le tatouage, la Thaïlande.
A. – Tu viens d’obtenir le prix Rod puis l’info fuse que les droits de ton livre ont été achetés par le cinéma en vue d’une adaptation. Auras-tu un rôle à jouer dans l’écriture du scénario puis dans le tournage ? Ça se vit comment de se dire que ses personnages vont prendre corps ?
A. J. – Box Production a acheté les droits. Ils ont à cœur que l’adaptation me plaise et je m’en réjouis. La personne qui adapte le texte en scénario veut mon avis sur son travail. Ce n’est que dans un deuxième temps que le réalisateur sera choisi et j’ignore quelle attitude, lui, adoptera à mon égard.
Je fais bien la part des choses : c’est mon livre et ce sera leur film. Je préfère m’impliquer sérieusement dans l’écriture d’autres romans mais je suis à disposition de Box Production durant le processus. Nous faisons régulièrement le point. J’ai confiance en eux.
A. – Ton site www.antoinejaquier.ch est une vraie mine d’informations. Au vu du succès de ton livre tu as dû être très sollicité, comment as-tu vécu l’aspect promotion ? Et comment défendre un livre écrit dix ans auparavant ?
A. J. – La promo a pris des proportions inattendues. Mais puisque les sollicitations étaient dues au succès et réciproquement, je ne vais pas me plaindre. Ça a pourtant été une année de folie et je suis content que les choses se calment un peu maintenant. Le Prix Rod est la plus belle manière de boucler l’année avec cette reconnaissance officielle du monde de la littérature suisse. Des gens que j’admire et respecte beaucoup.
Pour ce qui est de défendre le livre, je reviens à ce que j’ai dit plus haut. J’ai sérieusement repris mon texte entre 2010 et 2012. Il était donc encore très prégnant lors de la publication.
A. – Tu as participé à un atelier d’écriture avec Philippe Djian. Peux-tu nous raconter ce qui s’y est passé ? Qu’y as-tu appris ? Cela t’a-t-il aidé pour écrire le deuxième ?
A. J. – Je suis arrivé vers Djian avec un deuxième roman à mi parcourt. Nous nous sommes plongés dans mon style sur une vingtaine de pages. Djian n’est pas intrusif dans la manière qu’ont les autres d’écrire mais fait des remarques toutes simples que l’on entend ou non. C’est surtout sa conviction sur mon potentiel d’écrivain qui m’a bouleversé. Le fait qu’il me fasse un blurb pour le bouquin m’a transporté de joie.
A. – Sans vouloir trop en dire, je crois bien que ton deuxième roman est terminé. Comment gères-tu la pression du second qui forcément – au vu du succès du premier – sera attendu au tournant par les lecteurs et par les journalistes ?
A. J. – Le deuxième est meilleur, j’en suis convaincu, donc à l’aise avec le fait de le publier. C’est mieux écrit. Je descends plus profondément dans l’humain. Les quelques personnes qui l’ont lu sont restées pétrifiées.
Après, le succès est une corrélation de choses sur lesquelles je n’ai pas prise. On verra bien.
A. – Dernière question – mais pas la moindre – comment fais-tu pour paraître 10 ans de moins que ton âge véritable (que je ne dévoilerai pas ici) ?
A. J. – J’ai toujours fait plus jeune que mon âge. À vingt ans c’était insupportable, à trente, désagréable, et à quarante j’en profite enfin. Mais je n’ai pas la formule.