Le Ciel identique – Stéphane Blok

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C’est en musique que j’ai découvert ce texte, lu par Julien Burri, accompagné à la guitare par Stéphane Blok, un soir, à la bibliothèque Chauderon. Assez intriguée par ces histoires d’eau, j’ai eu envie d’avoir le fin mot de l’histoire. Encore plus intriguée par le format du livre, quelques lignes par page, j’ai eu envie de vous en parler, pour qu’à votre tour, telle la narratrice, vous vous posiez des questions.

Comment se fait-il que cet endroit m’apparaisse si différent ?
Elle descend l’escalier et sort de l’immeuble.
Comment ai-je pu à ce point ne pas voir le temps passer ?
Le trottoir est mouillé, le ciel est bleu.

Une drôle d’impression, assez unique, se dégage de ce livre. Tout est flou. Nous sommes dans la tête d’une jeune femme – apparemment – qui elle aussi a l’air de vivre dans un drôle de tourbillon, prisonnière de ce qu’elle a fait, de ses réactions. Ces questions, ses réflexions personnelles, entrecoupées de descriptions des alentours (Lausanne, j’imagine), sont troublantes. C’est assez incroyable de créer une atmosphère quasi cinématographique avec juste quelques mots.

Le temps, léger comme l’obscurité.
A-t-il explosé ? S’est-il désuni ?
De stable, ne s’écoulant pas, il a fini par couler,
Par devant.
Quel spectacle ! En avant la fanfare !
… et nous, tout angoissés…
Provisoirement. La peur motive l’amour, l’effroi la passion.
Deux messieurs discutent sur le trottoir en dessous.
Elle ouvre les yeux.

Nous sommes très loin d’un roman classique, d’accord une histoire nous est racontée, plus ou moins linéaire, d’accord c’est bien de notre monde qu’il s’agit, et pourtant. D’un coup, nous voilà dans la tête d’un homme, du déroulement de ses pensées naissent de nouvelles questions, une nouvelle angoisse, toujours ce flou.

Il laisse la fenêtre entrouverte en position de balancier pour générer un faible courant d’air, mais pas trop, sinon en cas de violents orages, il se pourrait que la pluie ne tombe pas droit mais avec un angle, et que de l’eau finisse par pénétrer et peut-être même par s’écouler chez le voisin du dessous qui aura beau sonner… il n’y aura personne pour lui répondre.
Il se souvient d’un vasistas oublié ouvert.
C’est idiot comme certains souvenirs sans importance me reviennent. Aussi vrai que j’ai la tête en bas et les pieds en haut. Collés contre la terre qui tourne.
De la limaille autour d’un aimant.

Et puis vient la pluie qui submerge tout et que nous ne comprenons pas très bien. Entre Dark Water et le souvenir de mes lectures de Wadji Mouawad, je me laisse engloutir, tout comme ce narrateur (lequel ?) qui se réfugie et essaye de fuir toute cette eau.

D’heure en heure, je constate que les trous dans la toiture s’agrandissent, que d’autres (de nouveaux) apparaissent. Peu à peu, brindille après brindille, tout est emporté du haut vers le bas, tout descend d’étage en étage, du toit jusqu’au sol, puis du sol jusqu’à la rivière, de celle-ci à l’autre rivière (plus grande), et je sais qu’il ne faudra pas longtemps pour qu’il ne reste ici aucune trace de la demeure dans laquelle je suis réfugié. Elle pourrait se disloquer et glisser tel un bloc erratique. Ne resterait alors qu’un talus spongieux noyé dans les brumes.

Peut-être pourrions-nous nous dire que l’auteur est un peu poseur, que d’une idée il a fait un livre publié, qu’il n’y a pas de littérature là-dedans, pas de vocabulaire recherché, pas de tournures marquantes. Mais de cet exercice est née une jolie lecture, qui dénote et qui emporte. Atmosphère, atmosphère, oui, deux fois oui.