Babylone fait partie de ces rares livres romands que j’ai eu envie de lire alors que je vivais encore en France. Parce qu’on m’en avait parlé, en bien, que le titre m’avait fait tilt, que le résumé sur Amazon m’avait interrogé. Mais tout de même pas assez pour investir plus de 35 euros pour un bouquin que je n’avais même pas pu feuilleter.
Été 2001, un an après le décès de son frère, le narrateur quitte la maison de ses parents et abandonne ses proches. Jeune adulte, il n’a d’autres références que celles, illusoires, de son enfance. Incapable de trouver appui dans le passé, il est également incapable de se projeter dans le futur. Il ne peut s’imaginer l’avenir qu’en fantasmant sa gloire ou sa déchéance. Seul, il erre dans la ville, spectateur d’un monde étranger, contingent et imprévisible. Les autres ne sont d’aucune aide. Il les rencontre, plaisante et se lie avec eux, mais il n’en retire qu’un sentiment de vide et de solitude accrue. Comme lui, ils sont prisonniers de ce qu’on leur a appris à faire et à aimer. Tous, ils répètent indéfiniment les mêmes soirées, les mêmes fêtes et les mêmes drames. Le périple qui le mène de la maison de ses parents à la solitude de la vie adulte, le narrateur nous le relate comme s’il lui était étranger. Détaché de lui-même, il dresse le tableau d’une humanité déréglée, dans laquelle les individus se révèlent émouvants par leur fragilité.
Alors j’ai fait les choses dans l’ordre : je suis venue vivre à Lausanne, j’ai acheté Babylone chez Payot (cher quand même mais l’air suisse me faisait tourner la tête), je l’ai lu… et non, je ne l’ai pas aimé… ni détesté, c’est un poil plus compliqué.
L’histoire est très simple, un jeune homme, qui parle à la première personne, ne trouve plus sa place, et décide de partir. Partir où finalement, ce n’est pas la question. D’ailleurs il n’ira pas bien loin. Il fallait un cadre simple pour que l’auteur, Baptiste Naito né à Genève en 1982, puisse exprimer via son style, tout ce qu’il avait à dire. Car oui, Babylone, avant d’être une histoire, est avant tout un terrain d’expérimentation. Très vite, on accepte l’idée que le narrateur étant comment absent de sa propre vie, sans désirs, sans projet, se rattache à des choses extrêmement concrètes. Il exprime des sentiments, mais d’une façon détachée. Les phrases sont précises, rapides, rien n’est laissé au hasard. Style mitraillette :
Quand j’ai fini de ranger ma chambre, je me suis rasé, j’ai pris une douche, j’ai mis un jean, une chemise noire et j’ai regardé mon reflet dans le miroir de la salle de bain. Je suis resté immobile. Mon visage me paraissait être celui de quelqu’un d’autre. J’ai détourné le regard.
Le souci est que ce style, novateur, étonnant, qui fait mouche, va rapidement tourner à vide, du moins durant la première partie pendant laquelle il ne se passe rien au sens premier du terme. Le narrateur va errer, croiser des gens mais ne pas s’y attacher, mais surtout va nous servir une description de Lausanne en long en large et en travers. Ce qui était bien sûr assez drôle pour moi qui venais de m’y installer. Au début du moins :
J’ai décidé d’appeler Christophe dans la soirée. Je suis sorti du bistrot et j’ai marché jusqu’à la station de bus. J’ai consulté le plan du réseau sur l’automate à billets. J’ai vu que je pouvais prendre le 7 et j’ai acheté un billet pour les zones 11 et 12. Le prochain passerait une dizaine de minutes plus tard.
Soyons clairs, le narrateur est suisse. Il fait ses courses à la Migros (mais n’a pas la carte Cumulus), fume des Parisiennes, mange de la viande des Grisons, boit de la M-Budget, lit Le matin ou L’Hebdo, nous parle de la ficelle, de la banane ou de la marmotte, va de l’avenue du 14 avril à la rue des Alpes, fréquente le Bleu lézard mais pas le Tunnel, etc. Usant. À me demander si je lisais un roman ou un guide touristique. Et pourtant j’ai persisté, quitte à ne lire que deux ou trois pages à la fois (le livre en compte 343).
Et puis l’électrochoc, pour le narrateur comme pour moi, au tout début de la troisième partie, la mort de son frère lui revient brutalement, flash back, même si le sujet avait déjà été abordé. Et le regard passe d’un coup de ce qui se passe à l’extérieur à ce qui se passe à l’intérieur. Et le rythme reprend, l’intérêt, l’empathie aussi. Jusqu’à la fin, un petit peu attendue.
Babylone reste pour moi un livre marquant, autant par ses défauts que par son originalité. Sans doute parce qu’il fait écho à mon arrivée à Lausanne. Mais aussi parce qu’il possède de réelles qualités littéraires. Je serais très curieuse de connaître l’accueil que lui réserverait quelqu’un ne connaissant rien de la Suisse. Et j’attends avec impatience le second de Baptiste Naito, car ce qui a fonctionné une fois ne pourra pas être réutilisé à l’identique.
À conseiller aux férus de régionalismes, aux lecteurs indolents qui aiment se faire porter, à ceux qui eux non plus ne savent plus ce qu’ils attendent.